08/10/2025 dedefensa.org  9min #292883

Rapsit-Usa2025 : Trump le révolutionnaire ?

 Brèves de crise  

Nous retenons de notre texte du  1er octobre 2025 ce passage d'une prise en main autoritaire de Trump des cadres supérieurs des forces armées. Il s'agissait bien d'une réunion d'affirmation du président sur l'orientation des forces armées, y compris l'orientation sociétale et idéologique, et opérationnelle dans le même sens. Trump voulait avertir les généraux et les amiraux que quelque chose de fondamentalement nouveau allait les affecter. Il le fit dans une ambiance hostile.

« Trump n'a finalement vraiment rien d'un Staline et il n'y a certainement pas, – sans le moindre doute ! – le moindre Toukhatchevski au sein des ronds de cuir des forces armées US. Pourtant, on peut envisager qu'il connaisse ou craigne une aventure assez similaire à celle de Staline, dont il doit partager quelques traits d'une parano de sa propre sorte, également assumée. Il sait que les généraux ne l'aiment pas, comme on l'a vu avec le général Miley en 2020-2021, puis avec le général Brown qui succéda à Miley à la tête du Joint Chiefs of Staff, comme d'ailleurs avec son premier secrétaire à la défense le général Mattis. Cette étrange sortie hors des normes que constitue la pseudo-conférence de Quantico, avec des remarques ressemblant à des menaces (« après tout, c'est votre grade qui est en jeu, c'est votre avenir qui est en jeu »), ressemble, elle, à un avertissement général au corps des officiers généraux : "Vous ne m'aimez pas, je ne vous aime pas non plus et j'ai des pouvoirs que vous n'avez pas... Dites-vous que je n'hésiterai pas à m'en servir !". »

Peu à peu, l'aspect pratique et opérationnel de cette intervention apparaît. Trump avait cité durant son discours la ville de Chicago comme un des nouveaux objectifs intérieurs à l'attention de l'armée, dans une démarche évidemment révolutionnaire pour les militaires.

Il y a eu  hier une intervention du directeur du FBI pour justifier indirectement mais avec une force considérable fondée sur le nombre considérable de délinquants dans la ville la nécessité de l'intervention des militaires. Sans doute ce chiffre sera-t-il contesté par les adversaires de l'utilisation de la force armée sans possibilité de vérification. Lors du mandat Biden, c'est le flux contraire qui se produisait, et l'on retrouve ainsi l'affrontement des haines des deux partis plongés dans  une quasi-guerre civile.

« "Nous avons appris que 110 000 membres de gangs sévissent dans les rues de Chicago. C'est exact. Vous m'avez bien entendu. Rien que cette année, on y a recensé 1 200 fusillades et 360 homicides", a déclaré le directeur du FBI Patel à la chaîne Fox. Les autorités américaines déploieront des mesures énergiques pour lutter contre la criminalité à Chicago, a-t-il déclaré.

» Le 5 octobre, le président américain Donald Trump a déployé 300 soldats de la Garde nationale à Chicago. Des manifestations ont éclaté dans la ville et des agents armés de la police des frontières ont utilisé des produits chimiques irritants contre les manifestants.

» Le 6 octobre, l'État de l'Illinois, où se trouve la ville de Chicago, a déposé une plainte contre l'administration Trump pour l'empêcher de déployer la Garde nationale dans l'État et la ville. Le tribunal a fixé une audience au 9 octobre, tout en rejetant la demande de blocage du déploiement de troupes jusqu'à ce que la plainte soit pleinement examinée. »

L'armée plongée dans l'idéologie

Vitaly Ryumchine, journaliste et analyste politique russe,  analyse le discours de Trump à Quantico en lui donnant une autre dimension que l'habituelle folie trumpiste. Il tente effectivement d'en déterminer l'importance réelle, disons en l'appréciant plus sérieusement, avec au départ la même analyse que nous faisions d'un avertissement (indirectement) solennel donné aux cadres supérieurs. Il introduit ainsi l'idée d'une refonte totale des forces armées, aussi bien dans leur mission que dans le champ opérationnel où elles doivent opérer, en allant jusqu'à une appréciation idéologique fondamentale. Le cas de Chicago nous donne évidemment une indication à cet égard.

«...Le raisonnement de Trump est autant politique que militaire. Son Amérique se replie sur elle-même, et il souhaite une armée qui reflète ce changement. La stratégie de défense à venir, actuellement en cours d'élaboration, appellerait à un redéploiement massif des forces américaines : suppression des commandements dispersés, retrait des troupes d'Europe et du Moyen-Orient, et concentration sur la défense du territoire.

» L'implication la plus surprenante est intérieure. Trump semble prêt à utiliser les forces armées pour faire face à des crises internes, de la criminalité aux troubles politiques. Sous couvert de "maintien de l'ordre", l'armée régulière pourrait compléter, voire supplanter, la Garde nationale dans le maintien de l'autorité fédérale.

» C'est un précédent dangereux, mais politiquement puissant. Dans la logique de Trump, les États-Unis eux-mêmes sont devenus un champ de bataille : ses villes sont envahies, ses institutions infiltrées par la "pourriture gauchiste". Pour retrouver sa force, l'armée doit à nouveau incarner les vertus ancestrales : discipline, masculinité, hiérarchie, patriotisme.

» Il ne s'agit pas seulement d'esthétique ou de nostalgie. Il s'agit de construire une nouvelle religion civique, fusionnant militarisme et nationalisme. Le "ministère de la Guerre" de Trump, comme il l'appelle désormais ouvertement, ne se contentera pas de défendre l'Amérique. Il la définira. »

Bien entendu, cette description correspondant assez fidèlement à la réalité très-probable nous ramène à cette remarque faite en passant sur l'aspect révolutionnaire de l'initiative. L'armée des États-Unis s'est toujours prévalue d'une neutralité impolitique complète, partant de l'affirmation du principe absolu que la structure politique de l'Amérique, basée sur la Constitution et non sur l'un ou l'autre des pouvoirs, n'a strictement aucun besoin d'affirmer un engagement politique.

En fait, il s'agit (il s'agissait ?) pour l'armée d'affirmer la vérité évidente, hors de toute contestation humaine possible puisqu'implicitement d'origine divine, de l'exceptionnalisme américain. Cette période, proclame Trump, est terminée, achevée, il faut maintenant épouser un destin spécifique, quasiment idéologique. C'est bien entendu complètement révolutionnaire, à un point où l'on pourrait se demander si Trump réalise les implications de sa démarche.

Note de PhGBis : « Nombre de critiques voient dans cette incursion idéologique dans une armée qui prétend à la neutralité politique une "première" autoritariste sinon fasciste. On observera qu'il s'agit d'une remarque erronée quant à la chronologie : dès l'arrivée de l'équipe Biden, eut lieu un énorme programme de refonte sociétale et idéologique de l'armée, vers une version ‘Woke'. L'intervention de Trump est une réponse du berger à la bergère. "Fasciste" si l'on veut, mais alors l'un autant que l'autre, et certainement pas Trump le premier. »

Guerre civile intérieure, risques extérieurs

Ryumchine, qui a certainement dû recevoir quelques confidences d'experts académiques et d'analystes des services de renseignement, – au point où l'on se dirait qu'il exprime là une hypothèse envisagée par les milieux officiels russes, – ne manque pas de porter sa réflexion au niveau géopolitique. Que va-t-il se passer dans les relations internationales, en effet, si les forces armées effectuent un tournant si complet dans leurs missions ?

« Si les réformes se poursuivent, elles marqueront la réinvention la plus radicale de l'armée américaine depuis la Seconde Guerre mondiale. Les généraux qui résistent ont déjà reçu l'ordre de "retirer leurs épaulettes". Ceux qui restent doivent embrasser une transformation idéologique autant que structurelle.

» Pour la Russie et le reste du monde, ce moment est crucial. La planification militaire actuelle de Moscou part toujours du principe que les États-Unis constituent la principale menace extérieure. Mais si Washington se réoriente véritablement vers l'intérieur – s'il abandonne son rôle de police mondiale et se retire d'Europe – c'est toute la carte stratégique qui sera bouleversée.

» Sous sa grandiloquence, Trump a esquissé la vision d'une Amérique qui combat moins à l'étranger, mais se prépare constamment à la guerre – sur son territoire, contre le crime, le désordre et la dissidence. C'est une idée dangereuse, mais qui résonne profondément chez les partisans de Trump : la conviction que c'est la force, et non la diplomatie, qui assure la paix ; que c'est la loyauté, et non la compétence, qui maintient la cohésion des institutions.

» Pour le reste du monde, et notamment pour la Russie, cela pourrait aussi être le signe d'une étrange opportunité. Si les États-Unis choisissent de tourner leur épée vers l'intérieur, d'autres auront plus de marge de manœuvre pour agir à l'étranger. Mais ne vous y trompez pas : lorsque l'armée la plus puissante du monde commence à purger ses généraux et à tourner son regard vers l'intérieur, l'histoire se déroule rarement en silence. »

Il est tout aussi évident que l'ambition de cette démarche, décrite ici d'une façon théorique et quasi-idyllique, va très rapidement se heurter à des barrages de critiques et de manifestations hostiles d'une ampleur équivalente. Chez les militaires eux-mêmes, où 15 officiers généraux ont déjà été licenciés depuis l'arrivée au pouvoir de Trump, mais aussi de la part des démocrates, de la gauche sociétale et Woke, et de la part des neocon bien sûr. La transformation de la mission de l'armée comme la mission d'intervention intérieure sont deux sujets brûlants. Il est certain que la phrase de Ryumchine doit être retenue dans toute sa signification :

«...lorsque l'armée la plus puissante du monde commence à purger ses généraux et à tourner son regard vers l'intérieur, l'histoire se déroule rarement en silence. »

... Et c'est d'abord au niveau intérieur qu'il faut envisager cette suggestion lourde de menace : cette affaire, comme nous l'avions mentionné, fait évidemment partie des principales causes d'une éventuelle " guerre civile", avant même qu'on doive envisager ses conséquences extérieures. Les oppositions vont être nombreuses et très variées, et rassembleront très rapidement autour d'elles d'autres sujets de mésentente et d'hostilité entre les deux partis.

Dans ce cas de figure, les relations extérieures deviennent très hypothétiques, l'évolution intérieure pouvant conduire à des sécessions, à des affrontements, à des ruptures. On se trouve alors devant le cas le plus difficile de l'évolution de la désintégration de la modernité, celui qui serait nécessairement engendré par une évolution du type de l'effondrement des États-Unis.

Mis en ligne le 9 octobre 2025 à 17H30

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